La Satire Ménippée

Ô Paris, qui n’est plus Paris mais une spélonque…
Satire Ménippée, poésie bourgeoise et collective de 1594 dont La Harangue de M. d’Aubray (extrait)
Pierre Pithou

Au moment où la Ligue cherchait à écarter Le Béarnais protestant Henri de Navarre du trône de France, et où les Espagnols voulaient y asseoir l’infante d’Espagne, une oeuvre littéraire satirique prit la défense du futur Henri IV. La Satire Ménippée salue, dans la défaite de la Ligue, la victoire de la Raison. Elle a une double inspiration : La Saturae Menippeae de Varron (Ier siècle avant J.-C.) et le philosophe cynique Menippe (IIIe siècle avant J.-C.). Les auteurs de la Satire, Pierre Leroy, Passerat, Jacques Gillot, Florient Chrestien, Gilles Durand, Rapin, Pierre Pithou étaient des catholiques appartenant au parti dit des Politiques qui soutenait la Couronne de France contre les occupants Espagnols. Les auteurs se réunissaient en secret quai des orfèvres…

Le titre primitif était La vertu du Catholicon d’Espagne. Les auteurs ironisent sur cette panacée merveilleuse qu’est la défense de la foi catholique, prétexte aux agitateurs et aux ambitieux (sic). Ils s’engagent contre la Ligue créée en 1576 qui était presque arrivée à ses fins après la journée des barricades le 12 mai 1588, lorsque Henri III fut chassé de Paris et que le Gouvernement dit des seize fit régner la terreur dans la capitale sous la domination des troupes espagnoles. Après l’assassinat d’Henri III et la convocation des États généraux en 1593 dans le but de nommer un Roi, la Ligue voulut éliminer Henri IV. C’est la Satire de ces États qui constituent le sujet de l’ouvrage. Converti au catholicisme en 1593, Henri de Navarre, sera sacré Roi de France. La Satire au service du Roi légitime a contribué à faire accepter le Béarnais et à faire avancer la paix dans son Royaume. …

Ô Paris, qui n’est plus Paris mais une spélonque (1), de bêtes farouches, une citadelle d’Espagnols, Wallons et Napolitains, un asile, une sure retraite de voleurs, meurtriers et assassinateurs, ne veux-tu jamais retrouver le sentiment de ta dignité et te souvenir qui tu as été, en comparaison de ce que tu es ? Ne veux-tu jamais te guérir de cette frénésie qui, au lieu d’un légitime et gracieux Roi (2), t’a engendré cinquante roitelets et cinquante tyrans (3) ? Te voilà aux fers ! Te voilà en l’inquisition d’Espagne, plus intolérable mille fois et plus dure à supporter aux esprits nés libres et francs, comme sont les Français, que les plus cruelles morts, dont les Espagnols ne sauraient aviser ! Tu n’as pu supporter une légère augmentation de tailles et d’offices et de quelques nouveaux édits qui ne t’importaient nullement et tu endures qu’on pille tes maisons, qu’on te rançonnes jusqu’au sang, qu’on emprisonne les Sénateurs (4), qu’on chasse et bannisse tes bons citoyens et conseillers, qu’on pende (5), qu’on massacre tes principaux magistrats ! Tu le vois, et tu l’endures ! Tu ne l’endures pas seulement mais tu l’approuves, et le loues, et n’oserais et ne saurais faire autrement ! Tu n’as pu supporter ton Roi, si débonnaire, si facile, si familier, si bon concitoyen et bourgeois qui t’a enrichie, qui t’a embelie de somptueux bâtiments (6), accrue de forts et superbes remparts, ornée de privilèges et exemptions honorables ! Que dis-je pus supporter ! C’est bien pis : tu l’as chassé de sa maison, de son lit ! Quoi chassé ? Tu l’as poursuivi ! Quoi poursuivi ? Tu l’as assassiné et fait des feux de joie de sa mort ! Quoi ? Tu as canonisé l’assassinateur. (7)
… Ô Paris, qui n’est plus Paris…

(1) un tombeau
(2) Henri III
(3) Gouvernement dit des seize
(4) Membres du Parlement
(5) Brisson, Président du Parlement
(6) Louvre, Hôtel de Ville
(7) Jacques Clément, vénéré par les ligueurs

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