Complainte des tisseuses de soie
Yvain, Le Chevalier au lion (extrait)
Chrétien de Troyes (1135-1190)
Les canuts d’Aristide Bruand et La chanson de la Chemise (Song of the shirt, 1843) de l’anglais Thomas Hood reprendront le même thème. Chrétien de Troyes excelle à peindre la vie matérielle du peuple. Dans son roman, Yvain, Le Chevalier au lion, libère les tisseuses de soie des maîtres sans coeur qui les exploitent… Le Chevalier pense que ces ouvrières sont captives du diable. Le poète proteste contre la misère ouvrière du XIIe siècle en France.
Toujours draps de soie tisserons :
Jamais n’en serons mieux vêtues.
Toujours serons pauvres et nues
Et toujours faim et soif aurons ;
Jamais tant gagner ne saurons
Que mieux en ayons à manger.
Du pain avons à grand dangier (1)
Au matin peu et au soir moins :
Jamais de l’oeuvre de nos mains
N’aura chacune pour son vivre
Que quatre deniers de la livre.
Et de ce ne pouvons-nous pas
Assez avoir viandes et draps ;
Car, qui gagne dans la semaine
Vingt sous, n’est mie (2) hors de peine.
Et bien sachez vos a estroz (3)
Qu’il n’y a celle d’entre nous
Qui ne gagne vingt sous au plus.
De cela serait riche un duc !
Nous sommes en grande pauvreté
S’enrichit de notre mérite (4)
Celui pour qui nous travaillons.
Des nuits grand’ partie nous veillons
Et tout le jour, pour y gagner ;
On nous menace à maheignier (5)
Nos membres, quand nous reposons,
Et pour ce reposer n’osons.
1. peine 2. point 3. vous autres 4. service 5. maltraiter