La mort de Roland
… il fait cela car il le veut vraiment
Extrait de la Chanson de Rolland
Anonyme (XIIe siècle)
Les chansons de geste (en latin gesta, action) étaient divisées en strophes construites essentiellement selon un rythme qui établissait l’unité. Le chant était destiné à un public qui ne lisait pas mais qui l’entendait de places en foires… La rude simplicité des poèmes permettait l’évocation d’exploits et de fictions romanesques.
Selon l’histoire, au cours de l’été 778, l’arrière-garde de Charlemagne est surprise dans les Pyrénées par des montagnards (?… cf. La vie de Charlemagne ou Vita Caroli Magni d’Eginhard, 770-840). Roland, jeune Comte de la Marche de Bretagne, pleinement engagé dans la bataille, meurt… Naît alors la légende (La geste de Roland, manuscrit dit d’Oxford -1170) : Roland devient neveu de Charlemagne et, les montagnards… 400.000 païens Sarazins contre lesquels le monde chrétien doit triompher ! … Sur la route de Saint Jacques, les pèlerins visitent le tombeau de Roland à Blaye, vont à Bordeaux en l’église Saint Seurin pour toucher le gant et l’olifant de ce soldat de dieu !… à Roncevaux, ils deviennent tous des chevaliers animés d’une foi soutenue par l’honneur national ! Par le poème, vibre ainsi, pour la première fois, le sentiment français, né de l’amour de la Douce France contre l’envahisseur… Roland, à bout de forces, tente de briser son épée pour qu’aucun ennemi ne s’en empare… Il ouvre une brêche (le Pas de Roland). L’épée ne cède pas. Dieu reconnait ainsi la foi et la valeur du sacrifice du preux chevalier. Le poème est un drame non de la fatalité mais de la volonté, de l’engagement. Roland incarne la grandeur d’âme, l’honneur, la bravoure, la piété. L’auteur de la Chanson est peut-être un certain Turold (un chroniqueur ?) évoqué au dernier vers du poème : ci falt la geste que Turoldus declinet… ainsi prend fin l’écriture du poème de Turold… ? (La composition de cet extrait tente de restituer cet épisode de la geste en français moderne… Le comité de lecture de Phaéton recommande la lecture du livre de Frédéric Boyer Rappeler Roland, P.O.L, 2013.)
173
Roland frappa son épée contre une pierre grise
La pierre casse et s’ouvre alors la brèche
L’épée grince sans rompre ni briser
Pointée haut vers le ciel elle vibre
«Ton pommeau d’or a beaucoup de reliques
Une dent de Pierre l’Apôtre
Le sang du Grec Basile le Saint
Des cheveux de Denis l’Évêque de Paris
Un linge de la Vierge Marie
Il n’est pas juste que des païens te possèdent
Par les chrétiens tu dois être servie
Nul couard ne peut te prendre
Très grandes terres par toi j’ai conquises
Elles sont au riche et puissant Charles
Blanc Empereur à la barbe fleurie»
174
Alors Roland sent que la mort l’étreint
De la tête elle lui descend au coeur
Roland court et s’assoit sous un pin
Sur l’herbe verte s’allonge à plat ventre
Glisse sous lui l’épée et l’olifant
Tourne sa face vers les regards païens
Il fait cela car il le veut vraiment
Charles dira avec chacun des siens
– Le noble Comte est mort en conquérant
Pour ses péchés il tend vers dieu son gant
Souvent la mort prend le fautif doucement
175
Ainsi Roland sent que son heure est venue
Au sommet du pic on voit clair vers l’Espagne
D’une main ferme il frappe sa poitrine
Tend son gant droit à Dieu tout puissant
«Prend ma faute mes péchés grands et menus
Ceux qui j’ai commis dés l’heure de ma vie
Jusqu’à ce jour où la mort vient et frappe»
Vers lui descendent alors du ciel les anges
176
Le Comte est allongé sous le feuillage du pin
Vers l’Espagne il tourne son visage
De bien des choses lui vient le souvenir
De toutes les terres qu’il a conquises
De Douce France en héritage des hommes braves
Du Seigneur Charlemagne qui l’a nourri
Dans un soupir il ne peut retenir une larme
Le Chevalier ne veut rien oublier
Il bat encore sa coulpe et demande à Dieu
« Toi le vrai père qui jamais n’a menti
Qui ressuscitas Lazare pour sa sainteté
Qui sauva Daniel de la fosse aux lions
Sauve mon âme de tous les périls
Lave-moi des péchés de ma vie
Prends mon gant droit Seigneur »
Saint Gabriel de sa main le lui prend
Sur son bras sa tête est inclinée
Il joint ses mains c’est la fin
Dieu lui envoie l’ange Chérubin
Et Saint Michel du Péril de la Mer
L’Archange alors vers Dieu les escorte
Et monte en paradis l’âme du Comte